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Discussion avec Denis Maillard

La posture du DRH et l’évolution de son poste

5 minutes de lecture | Denis Maillard a une formation en sciences politiques, philosophie politique et journalisme. Il a travaillé au sein de l’ONG Médecins du monde dans le département communication, puis il rejoint l’Unédic (Assurance chômage), où il évolue jusqu’au poste de Directeur de la Communication. Il intègre ensuite un cabinet de prévention des risques professionnels en tant que Directeur de la communication et des relations publiques. Chaque étape de son parcours professionnel est fortement marquée par les relations sociales, sur lesquelles il acquiert des connaissances par des pratiques de management et de RH. En 2017, il co-fonde Temps commun, un cabinet de conseil en relations sociales.

Aujourd'hui, Denis intervient auprès de grandes structures pour accompagner les dirigeants (directeurs des relations sociales et DRH) à faire face à l’impact des phénomènes de société et aux transformations du champ social et syndical.

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Pourriez-vous nous dire si le rayonnement et l’image du DRH ont évolué ces dernières années ?

Très nettement. Et cela tient à leur rôle. J’ai connu la fin des années 90’, 2000’, la période romantico-stratégique des « Grands DRH »  qui incarnaient un personnage. Ils avaient l’oreille du DG et détenaient un rôle central dans les décisions de l’entreprise. Plus récemment, du fait des transformations à l’œuvre sur le marché du travail et de l’accroissement de la concurrence entre entreprises, leur rôle a évolué sur une dimension « business partner » beaucoup plus attentive aux résultats financiers de l’entreprise à court terme.

Aujourd’hui, je qualifierais leur fonction de technico-tactique. Technique car très centrée sur le juridique et les tâches administratives, tactique car on a souvent demandé aux DRHs d’accompagner des plans sociaux en limitant les dommages.

C’est une fonction qui est en cela en recherche d’un nouveau positionnement.

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Selon vous, quels éléments ont pu rendre le métier technico-tactique ?

J’en vois deux. La fonction de DRH est actuellement en retrait face aux fonctions de pilotage de l’entreprise, que sont les fonctions financières. C’est un peu le ministère du travail face à Bercy, si on veut prendre une image : le pilotage se fait par les indicateurs financiers et cela limite le DRH dans ses prérogatives réelles. Il est contraint de rendre des comptes plus que d’en demander.

D’autre part, le DRH doit assurer des tâches techniques vitales pour l’entreprise, afin d’assurer le contrôle des risques et cela a centralisé une partie de leurs priorités. Le DRH pourrait d’ailleurs à l’avenir se départir de ses tâches car elles sont potentiellement externalisables – par exemple, les tâches juridiques qui pourraient être déléguées aux avocats – ou automatisables via la digitalisation – les tâches très techniques/administratives comme la paie par exemple-.

posture du DRH
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Comment redonner du pouvoir à la fonction du DRH ?

Je pense que certaines évolutions récentes ont permis de renforcer le rôle stratégique du DRH et participent à lui redonner une position centrale dans l’organisation de l’entreprise.

D’une part, une attente forte est portée aujourd’hui sur la raison d’être des entreprises. Il s’agit de légitimer une vision globale, une aventure commune et cet aspect est sollicité aussi bien par les collaborateurs, que par les clients ou par les personnes souhaitant rejoindre la structure concernée. Cette question du sens rejoint d’ailleurs les préoccupations des responsables RSE et il revient au DRH de préempter ce sujet car son rôle a toujours été de garantir la force du projet collectif comme ciment des relations humaines au sein d’une entreprise. Je conseillerais aujourd’hui aux DRH de s’emparer de la question posée par la loi Pacte de la raison d’être de l’entreprise. S’ils arrivent à s’en emparer, ils se légitiment fortement.

L’agilité demandée aux entreprises est un deuxième enjeu sur lequel le DRH peut retrouver de la force. Dans un monde économique dirigé par le digital, où l’on demande à l’entreprise d’accepter une plasticité importante dans son organisation, le DRH a à sa disposition deux outils qui permettront à son entreprise de faire face à cette injonction d’adaptabilité permanente :

 

  • La mise en place d’une stratégie GPEC ambitieuse (Gestion Prévisionnelle des Emplois et Compétences) qui sera d’ailleurs de plus en plus renforcée par de programmes de formation focalisés sur les compétences.

 

  • La prise en charge du sujet de la transformation en travaillant sur la culture de l’entreprise et sa capacité à avoir la bonne méthodologie pour se transformer rapidement et durablement.
posture du DRH

Enfin, même si c’est peut-être plus circonstanciel, le recrutement de cadres en France atteint le plein emploi en ce moment et la bataille des talents est aussi un espace où le DRH peut retrouver de la force. Notamment dans un environnement digital où les marques employeur se font ou se défont à une vitesse folle.

Mais pour cela, il faut développer avant tout un sens politique. C’est à ce niveau-là que j’interviens. Pour le coup, les DRH sont particulièrement bien placés puisqu’ils ont un poste d’observation sans pareil : ils ont une vision globale du capital humain et du développement de ce dernier.

Le dépassement de la fonction de DRH

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Pourriez-vous nous parler de votre métier, de votre méthodologie ?

A côté des missions de conseil classiques, mon cabinet a pour but d’aider les dirigeants dans leur réflexion, afin qu’ils apprennent à faire face aux phénomènes de société. Nous mettons en place des sessions d’échange en réunissant soit des personnes occupant un poste identique, soit des individus ayant une problématique commune. Le principe est de réunir des groupes de pairs et de les interroger sur un certain nombre de questions sociales, sociétales et managériales. Nous recueillons les réponses, les confrontons et les analysons.

Tout mon travail et tout mon savoir-faire reposent sur la confidentialité et tout est sous couvert d’anonymat. Une fois qu’ils ont reçu de notre part la restitution et l’analyse de leurs propos, ils peuvent s’exprimer en toute confiance et discuter entre eux de ces résultats et échanger librement sur ce qu’ils vivent au quotidien : leurs doutes, leurs questions, les situations auxquelles ils sont confrontés, leur réussite, etc.

Ces échanges permettent un dépassement de l’aspect technique de la fonction de DRH pour mettre le curseur sur des aspects stratégiques et politiques. C’est en se confrontant aux expériences de leurs pairs et à leurs réflexions, que les DRH vont pouvoir acquérir une posture, une vision de leur métier et un sens politique. Parce que la technique ils la maîtrisent. Dans le cadre d’un accompagnement plus individuel, j’organise ce que j’appelle des « rencontres d’utilité sociale », des moments d’échange et de réflexion avec des personnes qu’ils n’auraient pas rencontrées par eux-mêmes (un responsable associatif, un essayiste, la plume d’un ministre etc.), le temps d’un déjeuner ou d’un café qui va les aider à réfléchir et à comprendre.

Dans tous les cas, ces décideurs sont bousculés hors de leur zone de confort et se confrontent, via ces réunions, à des problématiques nouvelles.

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Parce-que c’est finalement en lien avec le sujet de cette interview, pourriez-vous nous parler du livre que vous avez récemment écrit, Une colère française, ce qui a rendu possible les gilets jaunes, aux éditions de l’observatoire ?

C’est un livre qui parle du social d’aujourd’hui. Celui qui se déplace hors de l’entreprise. Les gilets jaunes illustrent parfaitement cela. Quand le mouvement est né, on s’est posé la question de savoir pourquoi ils ne s’en prenaient pas à ou ne remettaient pas en cause l’entreprise ?

Leur revendication au contraire était de vivre dignement de leur travail. Leur question n’était pas le partage de la valeur dans l’entreprise mais leur capacité à vivre une fois qu’ils avaient quitté leur lieu de travail. La question sociale se révélait d’un seul coup non plus cantonnée à l’entreprise, aux relations sociales classiques et aux négociations avec les partenaires sociaux, mais elle se posait de quelques autres façons – sur les aspects du logement, du transport, de dignité, etc.- qui ne se posaient aussi fortement pas dans les entreprises jusqu’à présent. Des questions comme « est-il aujourd’hui possible de se loger à côté de son lieu de travail ? » ou « puis-je vivre dignement de mon salaire ? » doivent nécessairement être posées, afin d’anticiper les mouvements de société qui ont un impact sur l’entreprise. Il faut donc prêter attention aux signaux faibles qui émergent du cadre des entretiens annuels ou des points CSE par exemple.

Ouvrages

Ses écrits :

  • Une colère des Français, ce qui a rendu possible les gilets jaunes, éditions de l’observatoire, 2019.
  • Quand la religion s’invite dans l’entreprise, éditions Fayard, 2017.
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Quel social de demain présentez-vous dans vos livres et au travers de votre activité ?

Mon livre expose ce qui a bougé dans les rapports sociaux et dans les relations sociales pour qu’un mouvement comme celui-là soit possible. Surtout, je me suis rendu compte que les questions sociales avaient été relayées en second plan par rapport aux questions écologiques. Aujourd’hui, la nouvelle génération de gens qui arrivent sur le marché du travail est bien plus concernée et motivée par les enjeux environnementaux. Il faut donc se demander quels sont celles et ceux qui vont faire le social de demain.  Il faut urgemment faire émerger une nouvelle génération autour de cette question pour que la question sociale ne soit pas délaissée et ne fasse irruption sous forme de colère, comme on l’a vue avec les gilets jaunes.

 

C’est pourquoi à partir du livre, j’ai créé avec mon associé un dispositif  intitulé « Ceux qui feront le social de demain ». Le but est d’identifier celles et ceux – de moins de 35 ans – qui se sentent concernées par la question sociale et souhaitent innover dans ce sens. Nous proposerons ainsi à une cinquantaine d’entre eux, choisis préalablement par un jury de personnalités du social, d’intégrer un programme de type Young Leaders. L’idée est de créer un programme de formation qui regroupera, année après année, une promotion de personnes d’une même génération qui souhaite former par leur réunion une nouvelle intelligence sociale. Le 21 novembre 2019, la liste des 50 élus est rendue publique et disponible sur le site www.socialdemain.fr.

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